La conférence commence avec le témoignage d’Emery Jacquillat, président de la communauté des entreprises à mission et président-directeur général de Camif-Matelsom. En 2017, la Camif consacre dans ses nouveaux statuts une raison d’être : celle de « proposer des produits et des services dans la maison au bénéfice de l’Homme et de la planète et mobiliser tous nos écosystèmes pour imaginer les nouveaux modèles de consommation, de production, et d’organisation ». Les travaux de réflexion sur cette nouvelle raison d’être ont été coconstruits avec une cellule OSE (objet social étendu) pour la décliner en cinq objectifs de mission, sociaux, sociétaux, environnementaux. Parmi les actions les plus marquantes, la CAMIF sensibilise à la consommation responsable en fermant son site marchant au moment du Black Friday.
« L’évolution est plus rapide qu’on ne l’imagine ; aujourd’hui, les entreprises qui affichent des performances extra-financières significatives sont aussi celles qui surperforment en bourse » – Emery Jacquillat.
Pour Angeles Garcia-Poveda, présidente de Legrand, les sociétés les plus impliquées dans le triptyque Environnement-Société-Gouvernance sont souvent celles qui, parce qu’elles sont davantage à l’écoute de leurs clients, sont capables d’attirer les meilleurs talents, et accèdent plus que les autres aux capitaux et financements. Au sein du groupe Legrand, cinq feuilles de routes RSE ont été élaborées : quatre piliers et quinze sujets font l’objet de suivis dans le calcul de la rémunération variable des dirigeants du Groupe.
« Aucune raison objective ne permet de considérer que la gouvernance appartient à ses seuls actionnaires, par ailleurs indispensables en ce qu’ils apportent du capital, mais qui ne peuvent rien sans les salariés, sans force au travail, ni sans compétences » – Philippe Portier.
Pour Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT en charge de la politique économique, de l’industrie, d’évolution des règles du dialogue social, du développement durable et de la représentativité syndicale, la question « A qui appartient la gouvernance » est absolument centrale. La CFDT a développé le concept de codétermination à la française, qui repose sur trois piliers : la représentation des salariés au conseil d’administration, la nécessité pour la direction de recueillir un avis conforme du Comité social et économique sur un projet donné avant de pouvoir le mettre en œuvre, et la mise en avant du sens de l’entreprise et du sens du travail.
« Les investisseurs veulent investir utile et responsable. Les fonds d’investissement qui ne mettront pas en œuvre une stratégie de décarbonation et ne prendront aucun engagement dans le domaine Environnement-Société-Gouvernance ne trouveront plus de capitaux pour se financer dans quelques années » – Sophie Pourquery.
Sophie Pourquery, vice-présidente de France Invest, souligne l’importance pour les administrateurs d’être formés. France Invest, qui regroupe 400 fonds d’investissement en France et investit très principalement dans des PME, aide les entreprises à mettre en œuvre une gouvernance naissante. Depuis les années 2000, France Invest commence à suivre la mise en œuvre concrète des critères Environnement-Société-Gouvernance, sur lesquels chacun doit se former. France Invest travaille actuellement sur plusieurs thématiques, dont la parité, le partage de la valeur, et plus globalement sur l’Environnement-Société-Gouvernance, qui renvoie notamment à la loi de transition écologique.
« Si son devoir de vigilance reste central, notamment de par les dispositions légales applicables, l’administrateur doit désormais et plus que jamais savoir anticiper. Pour se faire, il convient de favoriser la discussion, l’échange ; demain, le conseil d’administration a vocation à devenir apprenant et être le lieu de l’intelligence collective » – Angeles Garcia Poveda.
Angeles Garcia-Poveda souligne l’objectif ambitieux de décarbonation poursuivi au sein du groupe Legrand, proche du bâtiment et de l’électrique. Une journée thématique au climat a été organisée au sein de la société, mêlant le témoignage de sachants, d’experts, et de représentants des actionnaires.
Emery Jacquillat rappelle que l’article 1833 du Code civil dispose que toute entreprise doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux, créant ainsi de nouvelles responsabilités pour les entreprises et les obligeant à prendre en considération des enjeux autres qu’économiques. Il rappelle en outre que le concept d’entreprise à mission constitue un cadre très structurant, en ce qu’il interroge la raison d’être de l’entreprise et oblige à formaliser des objectifs en matière d’Environnement-Société-Gouvernance propres à l’entité.
« Peut-être la prochaine étape consistera-t-elle à accueillir des jeunes dans les conseils d’administration : ils ne cautionnent plus la manière dont les entreprises ont été gérées jusqu’à aujourd’hui et mettent la préservation de l’environnement au cœur de l’action. À cet égard, ils doivent avoir voix au chapitre » – Angeles Garcia-Poveda.
Interrogés sur l’enjeu de diversité, Angeles Garcia-Poveda indique que ces l’ouverture du conseil d’administration a conduit les administrateurs à réfléchir autrement, et sont devenus plus créatifs et grandis grâce à cette ouverture qui devait confronter les administrateurs à des profils invités à leur table pour la première fois. Les enjeux de mixité, d’ouverture à de nouvelles compétences et à l’internationalisation ont permis cela. Et que les fonds d’investissement jouent un rôle important dans l’évolution des entreprises vis-à-vis des enjeux Environnement-Société-Gouvernance.
« La révolution écologique impliquera pour chacun d’entre nous de fournir beaucoup d’efforts, que certains ont les moyens, notamment financiers, de faire, tandis que beaucoup ne sont pas suffisamment aisés pour y parvenir » – Philippe Portier.
En conclusion, réinterrogés sur la question « A qui revient la gouvernance », Angeles Garcia-Poveda indique que la question ne repose pas tant sur la composition du conseil d’administration que sur la capacité de l’administrateur à sans cesse s’améliorer, en restant connecté au monde, et en étant curieux et sensible à la diversité sous toutes ses formes ; il doit jouer un rôle de vigie, de défricheur, de challenger, et approfondir les sujets en permanence. Sophie Pourquery indique que la gouvernance doit être évolutive, et que des instances nouvelles peuvent voir le jour, comme un conseil d’administration des jeunes, pour répondre à l’enjeu de diversité. Philippe Portier quand à lui définit la gouvernance comme appartenant aux parties constituantes de l’entreprise. Emery Jacquillat, en conclusion, précise que l’entreprise appartient à toutes ses parties prenantes contrairement à la société qui appartient à ses actionnaires. Le défi consiste alors à adapter la gouvernance afin que l’entreprise soit à la hauteur de la mission qu’elle doit remplir.
Pour visualiser le replay de la conférence 4 : sur le thème de: « transition ou transmission ? »