L’accès à l’information n’est pas qu’un droit mais aussi un devoir pour l’administrateur, afin d’accomplir sa mission. A ce titre, dans sa Charte de Déontologie de l’Administrateur, l’IFA précise que celui-ci « s’efforce d’obtenir dans les délais appropriés les éléments qu’il estime indispensables à son information pour délibérer au sein du conseil en toute connaissance de cause » (article 7).
Se pose alors la question de savoir si l’administrateur qui négligerait d’insister pour obtenir l’information nécessaire à l’exercice de sa mission ne mettrait pas en jeu sa responsabilité civile au titre de la violation de la loi ou de la « faute de gestion » selon l’article L 225-251 du Code de Commerce.
En effet, la jurisprudence établie par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation considère que « commet une faute individuelle chacun des membres du Conseil d’administration ou du directoire d’une société anonyme qui, par son action ou son abstention, participe à la décision fautive de cet organe, sauf à démontrer qu’il s’est comporté en administrateur prudent et diligent, notamment en s’opposant à cette décision » (arrêt « Crédit Martiniquais », Chambre commerciale, 30 mars 2010). Ainsi ni l’abstention ni l’absence lors de la réunion où est prise la décision fautive ne suffisent à écarter cette présomption de responsabilité. Le fait d’avoir participé à une telle décision sans avoir veillé à disposer de l’information adéquate peut être assimilé un manque de prudence et de diligence.
"Le droit à l’information des administrateurs et le devoir de se la procurer sont ainsi affirmés de façon nette par la loi, la jurisprudence et les recommandations de bonne gouvernance."
La contrepartie de ce droit l’information est l’obligation de confidentialité, nécessaire à l’entreprise. En effet nombre de sujets abordés par le conseil nécessitent de respecter le « secret des affaires » (risques concurrentiels liés à la divulgation prématurée de projets d’investissements, protection de la propriété intellectuelle de la société, etc.).
En outre, la communication de la société doit être assurée de manière cohérente (risque d’image), et elle est strictement encadrée dans certains domaines (information financière, information des instances représentatives du personnel). Néanmoins l’obligation de confidentialité semble affirmée en termes moins absolus que le droit des administrateurs à l’information, l’article L 225-37 alinéa 5 du Code de Commerce stipulant que « les administrateurs, ainsi que toute personne appelée à assister aux réunions du Conseil d’administration, sont tenus à la discrétion à l’égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le Président du Conseil d’administration ».
Les mêmes termes sont repris concernant le conseil de surveillance et son président à l’article L 225-92 du même Code.
Le texte légal implique d’une part que l’ensemble des délibérations du conseil et des informations transmises aux administrateurs en exécution de leur droit d’accès ne sont pas présumées confidentielles ; d’autre part que l’obligation de confidentialité est subordonnée à un acte positif d’identification des informations dont la responsabilité revient au Président.
Il convient de relever l’emploi du terme « discrétion » (« fait de taire ou qualité de celui qui tait des informations confidentielles, réserve qui fait parfois l’objet d’une obligation professionnelle » selon le Vocabulaire Juridique publié sous la direction de G. Cornu) plutôt que « confidentialité » ou « secret ».
L’obligation de ne pas révéler est la même, mais ce dernier terme est employé dans des cas qui sont assortis de sanctions pénales (secret professionnel, secret de fabrication, secret de la défense nationale, secret de l’instruction, de l’enquête et du délibéré) et qui peuvent comporter une dispense de déposer en justice, or l’obligation des administrateurs n’est pas sanctionnée pénalement. Ce constat est paradoxal dans la mesure où est reconnue une « sur-pénalisation » persistante du droit des sociétés français, malgré les réformes successives.
La violation n’est donc susceptible que de donner lieu à une action en dommages-intérêts, a priori ici en application de l’article L 225-251 du Code de commerce qui définit la responsabilité des administrateurs en cas de violation de la loi ou de faute de gestion. Cette dernière est définie par la Cour de cassation comme la « faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de la fonction, même si commise dans l’exercice normal des attributions » : elle pourra être reconnue dans des cas graves où il n’y a pas eu strictement violation de la loi faute de signalement du caractère confidentiel par le président. Or cela implique d’évaluer et de prouver le dommage subi.
Les recommandations de bonne gouvernance impose à l’administrateur une obligation plus dense. Le Code Afep-Medef, dans son article 20 relatif à la déontologie de l’administrateur, dispose que « s’agissant des informations non publiques acquises dans le cadre de ses fonctions, l’administrateur doit se considérer astreint à un véritable secret professionnel qui dépasse la simple obligation de discrétion prévue par les textes ».
Le Code Middlenext indique dans des termes voisins que « chaque membre du Conseil doit respecter un véritable secret professionnel ». La Charte de Déontologie de l’IFA dispose en son article 6 que l’administrateur « s’engage personnellement à respecter la confidentialité totale des informations qu’il reçoit, des débats auxquels il participe et des décisions prises ». Les règlements intérieurs et chartes de l’administrateur adoptés par les conseils reprennent généralement ces points, de façon plus ou moins contraignante. La confidentialité est souvent liée aux questions de délits d’initiés, certains évoquant les « suites judiciaires » ou la « démission d’office » en cas de manquement.
En effet, dans les sociétés cotées, l’obligation de discrétion des administrateurs est doublée par l’interdiction de « communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions » des informations privilégiées, interdiction assortie de sanctions pénales en vertu de l’article L 465-1 du Code Monétaire et Financier. L’article 622-2 du règlement général de l’AMF précise que cette interdiction s’applique aux administrateurs.
Par ailleurs, l’émetteur (personne morale) a, selon l’article 223-1 du Règlement général de l’AMF, une obligation de donner au public une information « exacte, précise et sincère », donc complète, et en particulier de porter « dès que possible » à la connaissance du public toute information privilégiée qui le concerne directement, en vertu de l’article 223-2. Ces exigences s’appliquent notamment à l’information donnée aux analystes financiers, en témoigne par exemple la décision de la Commission des sanctions du 10 décembre 2009. Ces obligations de divulgation s’appliquent aux « dirigeants » de l’émetteur selon l’article 221-1 du Règlement, terme cependant non défini, et qui pourrait être appliqué aux administrateurs.
Néanmoins la responsabilité pèse essentiellement sur le directeur général ou le président du directoire, seul habilité à représenter la société à l’égard des tiers en vertu respectivement des articles L 225-56-I et L 225-59 du Code de Commerce.